Les lèvres pincées, Psiek tentait de réfléchir à sa situation. Peu après son choc d’avoir croisé un enfant dans le manoir, elle s’était souvenue en avoir vu au tout début de son enfermement. Mais… Jamais elle n’aurait imaginé…

Elle secoua la tête et soupira, se forçant à penser à autre chose. Elle nettoya son intimité, observant la porte qui menait à l’extérieur de la salle de bain. Fémence était venu « l’entraîner », une fois de plus. Elle se doutait qu’il ne voulait que se vider et profiter de son corps, mais elle était dans l’incapacité de se refuser à lui. Après tout, il était rare qu’un partenaire accorde plus d’importance au plaisir de la femme qu’à son propre plaisir.

Ce n’était pas les hommes de son village qui pensaient ainsi, en tout cas…

Perdue dans ses pensées, la demoiselle se rendit compte qu’il n’y avait absolument personne dans la pièce. En général, lorsque Fémence sortait, il faisait venir une femme pour accompagner Psiek. Les bourreaux ne s’occupaient pas d’objets aussi importants qu’elle. Mais elle n’était jamais laissée ainsi… Peut-être était-ce une sorte de test ? Peut-être voulait-il voir si elle tentait de s’échapper ?

La jeune femme préféra ne pas prendre de risque et resta donc dans la salle de bain, s’essuyant et se rhabillant avec tranquillité. Mais, au bout d’une quinzaine de minutes, elle se décida à ouvrir la porte. Peut-être l’attendrait-on juste à la sortie, pour lui laisser un peu d’intimité ?

Un léger rire s’échappa de ses lèvres à ce simple mot. Elle n’était pas sûre que l’intimité existe réellement dans cet endroit, si ce n’est pour le Maître. Et lorsqu’elle sortit la tête de la salle, elle put remarquer qu’il n’y avait toujours personne. C’était forcément un piège. Cela n’arrivait jamais. Et il était impossible qu’on lui fasse déjà confiance. Mérisse était là depuis longtemps, elle comprenait. Mais elle… Elle était un peu arrogante.

Elle n’était même pas sûre de pouvoir se faire confiance à elle-même.

Après un long moment de réflexion, Psiek décida de se hasarder à travers les couloirs dans le but de retrouver sa chambre. Peut-être seraient-ils agréablement surpris de voir qu’elle était assez sage pour ça ? De toutes manières, elle ne connaissait pas assez bien le manoir pour tenter quoique ce soit. Ce serait de la folie pure.

Son regard se glissait parfois sur les tableaux qui étaient accrochés, ou sur les sculptures, provoquant en elle un sentiment de malaise. Elle n’avait rien contre l’art, mais ici, tout semblait… Incroyablement faux. La combattante préférait ce qui ressemblait au réel ou ce qui avait attrait à la magie. Elle avait horreur de voir de faux sourires marbrés, une fausse richesse étalée à l’aide de quelques pigments de couleur, ou encore un faux regard amoureux entre deux personnages qui puaient la niaiserie à plein nez.

Mais non. Tout semblait devoir être parfait dans un manoir parfait, géré à la perfection par un homme incroyablement riche et beau. Comme si on essayait de camoufler ce qui se passait dans l’arène, ou dans les sous-sols de ces lieux… Peut-être était-ce le but ? Cacher la misère humaine qui grouillait sous terre et arroser chaque personne d’une fausse ambiance chaleureuse. Aveugler par l’éclat de l’or et du marbre tandis que des vies s’éteignaient en silence, dans une douleur particulièrement malsaine.

Même la mort pourrait se tromper de chemin et oublier de se glisser dans les tunnels de lamentation, tant l’atmosphère empestait. Donnez un miroir aux bourges et ils en oublieront qu’ils ne sont pas seuls sur Terre, disait souvent son père.

Perdue dans ses réflexions, Psiek finit par atteindre une zone qu’elle n’avait jamais vu. À force de passer de portes en portes, elle avait atterri dans des couloirs plus sombres, à la pierre apparente. Il n’était plus question de luxe. Plus de tableaux, plus de sculptures, plus de tapis couvrant le sol pour que les pieds rebondissent délicatement…

Non. Cette zone faisait clairement penser à une zone de travail. Ici, l’aspect n’avait plus aucune importante. Il s’agissait de praticité et d’efficacité. Mais il ne s’agissait pas non plus d’une zone dépouillée, comme les sous-sols. On ne sentait pas le désespoir des gens qui travaillaient ici. Pourtant, une certaine odeur de crainte restait malgré tout. Psiek avait appris à la reconnaître…

La jeune femme posa sa main sur une poignée de porte mais s’arrêta. Une sorte de sensation électrique la traversa. Comme un pressentiment, ou quelque chose de profond. Son corps et son esprit s’étaient modelés pour se protéger du danger. Après tous ces combats et cette vie étrange, elle savait les limites à ne pas franchir.

Et quelque chose lui disait de ne pas franchir cette porte.

Psiek éloigna sa main et commença à faire demi-tour. Mais une main se posa sur son épaule, la faisant sursauter. Elle s’attendait à être punie, ou quelque chose dans le genre…

La demoiselle se retourna avec appréhension et vit un homme étrange glisser son doigt sur ses lèvres pour lui faire signe de garder le silence. Un violent frisson la traversa. Il désignait la porte, comme pour lui indiquer de l’ouvrir. Elle n’était pas sûre de vouloir savoir ce qu’il y avait derrière… Après tout, elle ne devrait même pas être ici, elle le savait.

Ses yeux observèrent l’homme pour tenter de se rappeler de lui. Mais elle ne l’avait jamais vu. En général, ils avaient tous un signe distinctif pour les reconnaître. Une cicatrice. Une forme de nez un peu étrange. Ou des cheveux d’une coloration anormale… Mais non. Cet homme était incroyablement banal. Absolument rien ne ressortait de cet être. Qui était-il ? Quel était son rôle ?

Voyant un manque de réaction de la part de la jeune fille, l’homme posa sa main sur la poignée de porte et l’enclencha doucement. Un simple petit cliquetis se fit entendre. Psiek se rendait compte à l’instant que le silence régnait un peu trop. Comme dans les caves, sans cette odeur de mort.

La jeune femme prit son courage à deux mains et poussa délicatement la porte, l’entrouvrant juste assez pour observer ce qui se passait à l’intérieur. Elle fronça les sourcils en voyant une table basse, toute en pierre. Des bougies l’encerclaient, au sol. Un symbole étrange était peint sur le centre de la table. Elle n’arrivait pas à comprendre…

L’homme lui tapota l’épaule et abaissa légèrement son écharpe. Les yeux de Psiek s’agrandir devant ce qu’elle voyait. Elle ne reconnaissait toujours pas l’homme. Pourtant, elle croyait savoir qui il était. Une grande cicatrice longeait son cou, exactement là où elle avait égorgé l’homme, juste après son premier combat.

Même si cela lui paraissait impossible, elle sentait qu’il y avait comme un lien. Quelque chose. Qu’essayait-on de lui faire comprendre ?

Le balafré referma la porte et poussa délicatement la demoiselle dans l’autre sens, comme pour la raccompagner. Trop de questions se bousculaient dans la tête de la châtain. Tous ces éléments lui faisaient froid dans le dos, une fois assemblés. Elle avait peur de comprendre la signification.

­ « Memphis, qu’est-ce qu’elle fout ici ? »

Psiek sursauta en voyant un homme débarquer, les sourcils froncés. Elle était totalement foutue… Si le premier bourreau avait l’air étrange mais pas vraiment dangereux, le deuxième semblait savoir que sa présence en ces lieux n’était pas du tout normal. Il allait sûrement tout rapporter au Maître. Tous les efforts qu’elle avait fait jusque-là seraient foutus en l’air…

­ « Elle s’est perdue. Elle m’a dit qu’on l’a laissée seule dans la salle de bain et qu’elle cherchait sa chambre. » répondit le balafré qui avait remis son écharpe juste avant l’arrivé du nouveau.

­ « Elle a touché à la porte ? »

L’homme qui tenait Psiek secoua la tête, expliquant qu’il l’avait retrouvée assise, à attendre que quelqu’un vienne pour l’aider. La jeune femme ne savait pas pourquoi il mentait, mais elle sentait qu’on l’avait mise dans une confidence un peu trop dangereuse à son goût. Elle risquait bien assez sa vie avec les combats… Et avec Mérisse qui ne la lâchait pas. La demoiselle ne comprenait rien.

Elle laissa les deux bourreaux parler, repensant à un détail. Comment l’avait-il appelé ? Psiek fronça les sourcils et tenta de réfléchir. Elle était sûre d’avoir entendu ce nom quelque part… Certes, c’était un prénom relativement commun. Il y en avait quatre dans son village, après tout. Mais ici, elle n’entendait pas souvent les prénoms des autres. Et ils semblaient tous uniques, en quelques sortes…

N’arrivant pas à se souvenir, elle secoua la tête et reprit enfin la marche, le bourreau la guidant en dehors des couloirs. Le silence était revenu, mais l’atmosphère était toujours aussi pesante. Comme un sentiment de danger qui flottait au-dessus d’elle. La jeune femme ne cherchait qu’à se venger, pourtant elle avait l’impression que cela ne suffisait pas.

­ « Ah, tu as trouvé notre petite étourdie. J’avais oublié de dire à une servante de la raccompagner » chantonna soudainement un roux bien connu qui venait d’apparaître.

Psiek sursauta et fronça les sourcils. Comment pouvait-on oublié une chose aussi importante ? Le sourire sur les lèvres de Fémence ne la trompait pas. Il avait fait exprès, elle en était persuadé. Ce n’était pas un simple oubli. Mais pourquoi ? L’androgyne avait visiblement un plan bien détaillé dans sa tête. Elle ignorait où il voulait aller, mais elle sentait qu’elle n’avait pas réellement le choix. Son destin ne tenait pas qu’à elle, finalement.

La châtain s’excusa et expliqua qu’elle avait tenté de se retrouver, en vain. Elle essaya d’ignorer le petit rire moqueur de son interlocuteur, agacée. Il avait toujours cet air supérieur. Comme s’il prenait les autres pour de petits objets fragiles qu’il manipulait à sa guise.

Elle détestait cela. Réellement.

Et plus elle y pensait, plus la demoiselle trouvait qu’il y avait bien trop de coïncidences pour une seule journée. Fémence qui « oubliait » de faire venir une servante. Elle qui se perdait dans des couloirs qu’elle n’avait jamais vu avant. Le balafré qui lui montrait une pièce et mentait ensuite pour la protéger… Et ce prénom. Elle ne l’avait entendu que deux fois depuis qu’elle était ici.

Et après avoir bien réfléchi, Psiek savait qu’il y avait une autre coïncidence bien trop grosse. Mais elle ne pouvait pas y croire.

Chapitre suivant: Chapitre 14: Instinct dangereux.