I – V – DCCXXVI

Très chère Prisme,

Tu dois le sentir au tremblement de ma main, cette troisième lettre m’est difficile. Il s’est passé tant de choses en si peu de temps que je ne sais par où commencer. Je ne suis même pas sûr que cela me soit très utile de te faire parvenir ces derniers événements. Tout va de mal en pis.

L’état de mon frère s’est aggravé et il n’est plus que l’ombre de lui-même. Ses yeux débordent d’un vide terrifiant, si bien que je me demande encore parfois s’il reste humain. Si son corps ne tressautait pas de temps en temps, j’en viendrais à la conclusion que seul le Diable l’habite encore.

Autant te dire que l’état de mon père n’est pas mieux. Et le mien non plus, en conséquence. À croire que la future perte de son fils lui donne envie de ruiner la vie de son second. Non, c’est bien pire. Aucun mot ne serait assez fort pour décrire. Aucune sensation ne pourrait illustrer ce que je ressens. Rien. Rien du tout…

Ce matin, j’ai été réveillé par un seau d’un contenu inconnu. Mais d’après l’odeur, je peux te certifier qu’il y avait un mélange d’urine, de bile et de matière fécale. Pire encore… Je ne peux l’affirmer à cent pour cent, mais il me semble avoir entendu mon père marmonner et regretter que cette maladie ait touché mon frère… Et non moi.

Tu le comprends, Prisme. Je n’ai plus le choix. Je vais devoir en user plus tôt que prévu. Mes connaissances sont encore trop faibles et je ne connais pas le résultat. Je doute d’arriver à faire ce que je désire réellement. Mais les désirs sont bien loin, désormais. Il ne reste plus que le goût amer de la défaite qu’est devenue ma vie. Et cette insatiable volonté de me venger contre cette personne qui ose prétendre être mon géniteur. Cette… Chose qui mord mon âme avec violence. Tu l’as connue cette blessure.

N’est-ce pas ?

Hier encore, j’ai pu entendre ton nom s’échapper de ses lèvres. J’ai ressenti une haine sans pareil en voyant les horreurs qui peuvent naître dans cet antre noirâtre et dépourvu d’humanité. Depuis que cette maladie s’est hissée dans la maison, je ne reconnais plus rien. Aucun mot, aucun son, aucune parole… Peut-être qu’il avait raison, finalement. Une malédiction s’est bel et bien abattue sur notre manoir. Mais la victime n’est pas celle que l’on croit…

Il faut également que je te fasse part de l’une de mes craintes. Je t’ai déjà mentionné quelques fois l’irrespect dont font preuve les servants et servantes à mon égard. Cela me glace le sang de l’avouer, mais je n’ai plus aucune reconnaissance que ce soit dans ce manoir. Parfois, je crains pour ma santé. Je n’ose imaginer ce qui pourrait m’arriver…

Il m’arrive aussi d’avoir pitié pour Nicolae. Au commencement, je me sentais prisonnier de sa maladie. J’étais même persuadé qu’il faisait tout pour me rendre la vie impossible. Mais il y a trois nuits, je l’ai surpris à ramper sur le sol en traînant son seau. J’ai compris qu’il voulait m’éviter ce genre de corvée. Et j’imagine que ce doit être avilissant d’être dépendant d’un être humain, pour le moindre de ses besoins…

Quoi qu’il en soit, ma chère Prisme, ma décision est prise. Je ne sais pas ce que tout cela va donner, mais je le ferai. Je n’ai plus le choix. Je vais changer les choses à ma façons et m’assurer un autre avenir. J’ai déjà commencer à tisser un plan. Il ne me manque qu’un peu de temps. Il faut juste que Nicolae tienne encore un moment. Ne serait-ce que deux semaines.

Je te ferai part des changements avec de prochaines lettres, comme toujours. Je ne peux t’assurer une réponse plus rapide, mon père surveillant mes courriers. Comme tu le vois, je dois récupérer de vieilles feuilles froissées et gribouillées pour faire parvenir mes mots. Il se doute de quelque chose.

À très bientôt, Prisme. Puisse le destin suivre le tracé que je lui prépare.

Avec toute mon affection, FS.

Chapitre suivant: Chapitre 13: Elle ne veut pas savoir