Le cœur de Psiek battait à tout rompre. C’était sa troisième nuit dans le lit du Maître. Elle était en train de limer ses ongles tandis que sa poitrine semblait prête à exploser. Le trac la mangeait de toutes parts. C’était enfin le grand soir.

Elle commença à appliquer de la crème sur les mains douces et froides, massant avec délicatesse. C’était presque devenu une routine. S’occuper de lui. Le masser. Caresser. Appliquer toutes sortes de produits. Veiller à son bien-être et son confort. Comme s’il s’agissait du cristal le plus pur et le plus fragile au monde.

Un dégoût traversa le corps de la combattante. Et puis quoi encore ? Du cristal ? Ce n’était que du verre basique qui se camouflait sous son polissage pour paraître plus beau et plus riche qu’il ne l’était vraiment. Mais quand on le brisait, il redevenait ce qu’il était : basique, fragile et coupant.

Du véritable poison.

Une envie de cracher saisit la jeune femme mais elle se retint. Elle devait continuer d’arborer un sourire dominé et ravi.

Psiek aida ensuite le jeune homme à se changer, après avoir passé un linge mouillé par de l’eau de rose sur son corps. Il ne demandait toujours rien de sexuel. La première nuit, elle avait été effrayée, s’imaginant être tuée le lendemain matin. La seconde, elle était vexée, persuadée de ne pas être au goût d’un tel homme.

Finalement, elle s’était demandé si ce n’était pas un test. Elle se coucha près de lui, faisant mine de s’endormir. Test ou pas, tout cela l’arrangeait réellement. Elle avait hésité à agir la première nuit, mais elle avait craint que l’homme ne soit trop méfiant. Il fallait absolument faire croire à une totale soumission.

Elle attendit de longues heures avant de se redresser, observant le calme de l’endormi. Elle guetta sa respiration un moment, voulant être totalement sûre qu’il ne se réveille pas d’un coup. Chaque parcelle de son corps était tirée à l’extrême. Elle avait l’impression d’être sa propre marionnette. De contrôler son corps tout entier, tout en étant à l’extérieur de celui-ci.

La peur qu’elle ressentait était bien plus intense que lors des combats dans l’arène. Même lorsqu’il s’agissait de combats à mort. Car si d’habitude, elle avait une chance de s’en sortir, ici ce serait foutu en cas de réveil. Celui qu’elle affrontait était au même niveau que Dieu.

Mais contrairement à ce dernier, ce n’était pas de la curiosité qu’elle ressentait, mais une crainte intense…

Inspirant profondément, Psiek se promit que ce serait la dernière fois dans sa vie qu’elle aurait aussi peur. Le règne de ce tyran était terminé. Il allait regretter toutes les mauvaises actions qu’il avait faites et devrait se justifier auprès du Diable en personne.

La jeune femme écarta les cuisses et récupéra difficilement un objet qu’elle avait caché au niveau de son intimité. Le fait que ce monstre ne veuille pas la toucher était une aubaine, puisqu’elle avait pu cacher la clef de sa liberté. Elle déballa l’espèce de petit tissu qui recouvrait l’objet, l’observant avec ébahissement.

Un de ses ongles en forme de lame. Pointu, affuté. Elle les conservait uniquement pour ses combats à mort, avec autorisation du Maître. Autrement dit, c’était un peu comme si le Maître lui avait autorisé de le tuer, n’est-ce pas ? La jeune fille retint de justesse un léger rire. La vie était drôlement ironique parfois.

Elle allait le tuer avec son approbation.

La châtain n’avait pas cette espèce de colle pour appliquer les ongles, mais elle n’en avait pas besoin. Elle glissa avec légèreté ses doigts au niveau du cou, se concentrant. À force de tuer, elle avait fait de nombreux essais. Elle avait pu déterminer avec une assez grande précision où il fallait planter la mini lame pour que le sang coule à flot. Un sang rouge et excitant, elle en était persuadé. Une pensée folle lui vint même en s’imaginant le goût. Jamais la mort de quelqu’un ne l’avait autant excitée.

Dans un sens, elle se dit que ses victimes devaient la remercier de les avoir utiliser pour ça. Elle-même aurait été ravie de contribuer à la mort de cet enfoiré, si elle n’avait pas été la tueuse.

Psiek inspira. Elle glissa tout doucement la pointe vers la gorge… Et l’enfonça d’un geste sec, le retirant tout aussi rapidement pour ne pas empêcher le liquide de s’écouler. Un tremblement d’excitation la saisit tandis qu’elle observa le sang commencer à s’écouler.

Pourtant, l’excitation redescendit bien vite. Elle s’était imaginée aspergée de ce sang impure. Elle avait pensé devoir couvrir la bouche de l’endormi, s’attendant à un réveil brutal et bruyant. Mais l’homme semblait toujours dormir paisiblement. Pire encore : Son sang coulait avec lenteur, et des traces de croûtes se formaient déjà.

Elle n’avait jamais vu aucun sang sécher aussi rapidement.

Un haut le cœur la saisit avec violence tandis qu’elle se recula, descendant du lit et se frottant la tête avec rage. Ce n’était pas une réaction normale. Non. Elle n’était pas experte en morts, mais elle savait qu’il n’était pas sensé réagir comme ça…

Psiek sentit son souffle se couper une seconde. Experte en mort.

Son regard se figea sur le corps devant elle. Un être vivant normal aurait dû agoniser et perdre des litres de sang. Tout s’embrouillait dans son esprit. Les lettres du soumis qu’elle avait pu lire se mirent à la tourmenter. Elle se remémora également un de ses moments d’égarement dans le château, lorsqu’elle avait rencontré ce type, Memphis, et qu’il lui avait montré…

La combattante dût plaquer sa main sur sa bouche pour se retenir de vomir. Elle avait toujours eu tous les éléments bien face à elle. Et pourtant, elle était passée à côté, comme une idiote. L’homme devant elle, le… Maître ? Non, ce n’était pas le Maître. Et ce n’était même plus un homme. Depuis combien de temps ? On s’était joué d’elle. Toutes les personnes ayant mis un pied dans ce château s’étaient faites manipuler.

Sans réfléchir, la demoiselle courut vers la fenêtre, l’ouvrit et se jeta dans le vide. La peur semblait la poursuivre et elle eut une chance incroyable que la douve soit suffisamment remplie d’eau. Elle ne s’inquiétait même plus du bruit qu’elle avait pu faire. Elle voulait juste quitter les Enfers et aller loin. Très loin.

Psiek s’extirpa de l’eau avec peine et commença à courir vers la zone qu’elle avait repéré, la dernière fois, sentant des larmes lui monter aux yeux.

Sans réfléchir, elle comprit également que Prisme lui avait menti. C’était obligé. Tout n’avait été que manipulation depuis le début. Le Maître n’était qu’un cadavre. Une marionnette sans vie. Quelqu’un qu’on n’avait pas eu la décence d’enterrer solennellement. Juste pour l’utiliser à des fins personnelles.

La châtain s’arrêta quelques secondes pour vomir, les larmes dégoulinant sur ses joues. Elle ne savait pas par quel miracle elle y avait échappé, mais elle avait failli coucher avec. C’était son rôle, à la base. Coucher avec un cadavre. Elle avait touché ses mains. Elle les avait embrassées. À cette pensée, une nouvelle nausée la saisit, et la demoiselle vida tout son être.

Elle reprit sa course, se retenant difficilement de ne pas penser à tout ce qui s’était passé, à ceux qui étaient impliquées, à elle… Prisme lui avait-elle menti ? Jusqu’où savait-elle la vérité ? FS… Cela ne pouvait être que Fémence. Nicolae avait beau être un prénom commun, elle aurait dû ouvrir les yeux. Sans compter le nom de Prisme. Et la fois où elle avait été amenée dans cet étrange pièce ?

Psiek s’imagina sans difficulté que cela devait être à cet endroit que l’homme usait de sa magie. Un nécromancien. Il avait fallu qu’elle tombe sur quelque chose d’encore pire que d’une puissance malfaisante comme le Maître. Depuis le départ, ce n’était pas lui qui tirait les ficelles.

Haïssait-il son frère à ce point ? Et tous ces gens à qui il refusait le repos éternel ? Avaient-ils conscience de ce qu’ils étaient ?

Les jambes ensanglantées par les ronces qui arrachaient sa peau à chaque passage, Psiek faiblit. Elle lutta néanmoins contre la douleur et la peur. Elle marchait au rythme des battements de son cœur.

C’était l’Enfer, et la jeune femme voulait s’en éloigner au maximum.