Je regardais l’intérieur de mon casier d’un air maussade. Et dire que dans à peine un peu plus d’un mois, je pourrais commencer à le vider et à libérer la place. Un seul petit mois…
La première épreuve du tournoi aurait lieu. Celle qui allait éliminer une bonne moitié des participants avant d’entamer les choses sérieuses. Et sachant qu’aucun élève de ma classe ne voulait tenter l’aventure… C’était comme si nous étions déjà partis.
Nous pourrions terminer l’année, bien sûr. Mais à quoi bon ? Aucun autre école n’était apte à nous prendre. Dans le coin en tout cas. Et je n’avais clairement pas les moyens d’aller dans une école plus loin, en internat. Pour que cela finisse de la même façon ? Que la classe soit de nouveau éliminée par « manque » d’effectifs ?
Ou peut-être juste parce qu’ils ne sont pas capables de blairer notre magie.
Même si l’excuse qui revient le plus souvent, c’est notre effectif restreint et la tentative de triche d’il y a deux ans, je savais que c’était bien plus profond que tout ça. Même si tricher à un tournoi aussi important et symbolique pouvait salir une image à vie…
Nous n’avions pas eu d’image, avant ça. Juste une tache qui figurait parmi de magnifiques toiles.
Oh, bien entendu, je pouvais tenter de changer de magie. Le chemin était long, difficile et douloureux… Mais pas impossible non plus. Mais je me voyais mal changer de magie au bout de vingt-deux ans. Ce serait rompre avec une part de moi-même. Ce serait renier qui j’étais réellement.
Et ce serait céder à la pression et à l’intolérance.
Je n’avais donc pas réellement le choix. Quitter l’école. Et même si j’acceptais de changer de magie, je devrais renoncer à mon rêve de travailler avec des animaux polaires dans les réserves. Adieu mon utilité d’humaine pour tenter de soutenir d’autres espèces.
J’étais vraiment foutue, n’est-ce pas ?
C’était impossible de travailler ainsi sans le diplôme décerné par l’école de magie. Tout gravitait autour de ces écoles. Et de ces foutus tournois…
J’avais bien tenté d’en parler à ma famille, de chercher du soutien. Mais depuis toujours, ils avaient du mal à me comprendre. À comprendre ce que je pouvais vivre. Sur une famille de cinq personnes, il avait fallu que je sois la seule à maîtriser cette magie. La seule à échapper à la magnifique magie des fleurs.
La seule contre tout, comme à chaque putain de fois.
– « Bah alors Faia, tu vides pas ton casier ? C’est bientôt la fin ! »ricana un jeune homme en passant, faisant rire sa bande d’amis.
Kosobe. Un enfoiré de première qui ne ratait pas une seule occasion pour me rappeler que ma vie était un fouillis sans nom.
Et en parlant de nom, je sentais qu’il avait un malin plaisir à prononcer le mien, depuis qu’il en connaissait la signification… Je ne pouvais malheureusement pas riposter. J’avais usé de mes ruses pour pouvoir vivre tranquillement dans cette école, sans trop provoquer le monde et en contournant les passages à risques.
Et même si tout était bientôt fini, je voulais terminer le mois qui me restait dans la tranquillité la plus totale.
Je serrai les poings en entendant Kosobe enchaîner les remarques acerbes. J’avais terriblement envie de lui répondre. L’envoyer chier. Comme n’importe qui l’aurait fait à ma place. N’importe qui, qui n’était pas mage de glace…
– « Laisse la tranquille Kosobe. Ça ne doit pas être très évident pour elle en ce moment… »
Je ne pus m’empêcher de tourner le regard vers le beau Nikolaï, qui venait de prendre ma défense. Un homme aux origines biélorusses qui avait un grand cœur. L’un des rares… Et qui représentait l’espoir tout entier des classes de feu, au passage.
C’était un élève brillant. Pas forcément très doué dans les études, mais un véritable génie de la magie. Avec des envies capillaires farfelues mais… Mais c’était ce qui faisait son charme. C’était du moins ce que j’imaginais.
En réalité, Kosobe n’était pas mal du tout non plus. Sa balafre sur la joue gauche lui donnait même un certain charme. Mais son comportement le rendait terriblement laid. C’était triste. Devenir moche car on possédait un cœur noir et triste…
Enfin, au vu de ma situation, je n’étais pas réellement en position de noter la beauté des autres. Hormis « admirer », cela ne me servait à rien. Ce n’était pas comme si une quelconque possibilité de construire quoique ce soit puisse s’offrir à moi…
Je secouais la tête et repris mon chemin, songeant à sécher le prochain cours. J’avais eu en tête de convaincre les autres de participer. Au moins d’essayer… Mais c’était hypocrite de ma part, vu que je ne comptais pas y participer. Et puis, je savais qu’ils avaient tout autant envie que moi de tenter leur chance : C’est-à-dire aucune.
Pourtant… Même si nous n’étions que dix et démunis… Je trouvais ça triste de ne rien tenter. Pourquoi ? Même si c’était sans espoir, c’était tout de même une chance. Une possibilité, plutôt que d’abandonner directement.
Mais tenter quelque chose d’impossible ?
Je poussais un soupir profond, particulièrement blasée par toute cette situation. Je me prenais bien trop la tête.
– « Hep là ! Vous devriez avoir cours, non ? » héla un surveillant au bout du couloir.
Mon soupire se fit plus fort malgré moi. Peu importe ma volonté, nous étions surveillés. En même temps, l’unique classe de glace n’était pas dure à suivre. Savoir nos horaires, où nous devrions être… Tout était absolument contrôlé. C’était un autre point qui m’agaçait dans cette école.
J’avais lu dans un livre d’histoire que le « délit de faciès » était pratiqué, il y a très longtemps. Et bien, j’avais l’impression de toujours être touchée par ce mal. Pas pour ma couleur de peau, certes. Ni pour ce que je semblais être. Mais toujours pour quelque chose d’incontrôlable, de naturel, d’inné…
Après une nouvelle interpellation du surveillant, je me tournais et m’excusais, me dirigeant enfin vers ma classe. L’envie de l’envoyer balader était très forte. Voire même de l’insulter en différentes langues, au cas où il ne comprendrait pas.
Je me demandais un court instant si Nikolaï pourrait m’apprendre des insultes dans sa langue…
Je rentrais dans la classe et ne m’excusais pas auprès du professeur : Il était en retard, comme toujours. Lui aussi avait totalement perdu espoir en nous. En réalité, je me demandais ce que deviendrait notre unique professeur en magie de glace…
Sans élève, pas de cours. Pas de cours, pas de salaire.
Allait-il se reconvertir ?
Je sortais mes affaires en restant plongée dans mes pensées. Nous ne communiquions plus beaucoup entre nous, depuis la nouvelle. J’avais eu l’étrange espoir que nos liens se resserrent et que l’on se soutienne durant cette drôle d’épreuve. Mais finalement, c’était le chacun pour soi qui avait gagné.
On pensait à notre propre futur, pas celui des autres.
Quand on est une minorité menacée par le futur, l’isolement prime. L’espoir à plusieurs n’existe plus. Il ne reste plus que le désespoir en solitaire.
Je me relevais en voyant le professeur entrer, comme il était coutume de le faire, attendant la permission pour m’assoir. Un drôle de pétillement était perceptible dans ses yeux. Il demanda alors qui avait prévu de se présenter pour essayer de sauver notre classe.
Je laissais le silence répondre à notre place. Je pensais pourtant qu’il avait compris. Qui pourrait croire qu’on s’époumonerait en vain ? Il n’y a que le poisson pour batailler vainement hors de l’eau. Nous avions au moins l’intellect de préserver nos forces.
– « À force de se débattre et de rebondir, il arrive parfois que le poisson regagne la mer. Mais c’est sûr qu’en ne faisant rien, il est absolument condamné à mourir. »
Je regardais le professeur d’un air semi-blasé. Il trouvait encore le courage de nous faire des remontrances. C’était naïf mais assez… Beau, dans un sens. De voir qu’il y avait au moins une personne dans ce fichu groupe, pour espérer. Mais c’était bien maigre.
Je laissais un autre répondre que l’on ne ferait rien. Je laissais le professeur reprendre sa petite leçon et nous faire milles reproches. Je laissais le destin dicter ma vie, comme depuis toujours.
Je m’abandonnais.