Chapitre précédent: Ici.

Cher lecteur, tu remarqueras l’absence du chapitre 17, et ce n’est pas accidentel. Il ne sera disponible que sur la version papier, mais son absence n’empêche en rien la compréhension de ce livre.

 

 

Un râle sembla s’échapper de la principale pièce d’eau des combattantes, provoquant un frisson de terreur chez tous ceux qui passaient devant. Les quelques gémissements que l’on pouvait entendre étaient entrecoupés de bruits de liquide et du son sourd du bandage que l’on enroule autour du bras.

Personne n’osait toquer à la porte, sachant pertinemment ce qui s’y déroulait.

Psiek poussa un profond soupire et mordit dans un bout de bois, laissant couler un fluide dont la forte odeur de miel lui donnait la nausée et lui tournait la tête. Un gémissement étouffé s’échappa de ses lèvres, tant la douleur était puissante. Elle pensait pourtant être habituée… Pourtant, tout semblait plus éprouvant au fur et à mesure. Comme si son corps se refusait de s’habituer à cette vie.

Prenant son courage à deux mains, la châtain attrapa avec une pince un morceau de fer qui était chauffé à l’aide d’un petit feu. Elle déglutit avec difficulté et l’appliqua soudainement sur une plaie de sa cuisse, laissant un cri puissant s’échapper de sa gorge, lui écorchant les cordes vocales de par sa puissance…

Mais la plaie était refermée.

Haletante, la pauvre combattante termina d’enrouler chacune de ses plaies, chassant d’un revers de mains les larmes qui s’étaient écoulées sur son visage. Même si elle avait gagné le combat, il avait été particulièrement atroce. Autant pour elle que pour son adversaire. Un invité avait payé le prix fort pour qu’on ordonne à la Faucheuse de pratiquer certaines sévices sur sa victime. Et cette dernière était non seulement puissante, mais aussi animée par la volonté de ne pas souffrir. Aussi, elle s’était battue plus farouchement qu’une lionne.

Pourquoi ?

Tout cela n’avait qu’un seul but. Amuser une galerie d’abrutis qui n’avaient sûrement rien vécu de pire que de se prendre une bête écharde dans le doigt. Et gonfler l’orgueil de l’Hôte qui pouvait se vanter de faire tout ce qu’il désirait de la vie de ses victimes. Il était un dieu dans un monde de pauvreté et de terreur. Un dieu minable et détesté. Mais un dieu tout de même…

Une fois les plaies soignées, la pauvre châtain se rendit malheureusement compte que la douleur lui avait fait oublier un détail important : Elle était encore couverte de sang, hormis sur ses plaies justement, et elle ne pouvait décemment pas dormir ainsi. Elle défit donc tout son travail, regardant les bandages gâchés tomber silencieusement sur le sol, glissant ensuite une jambe dans l’eau exceptionnellement tiède du bain. Même si le froid était préféré pour une « belle peau », on lui permettait parfois d’augmenter la température de son bain, notamment en cas de blessures profondes.

Un mal pour un bien.

Un soupire d’aise s’échappa de ses lèvres, tandis que la combattante usée laissait sa tête tomber délicatement sur le rebord de la baignoire, laissant quelques mèches s’humidifier au contact de l’eau. Cette dernière lui piquait délicatement les plaies, mais la sensation était presque un plaisir comparé à ce qu’elle avait dû subir auparavant. Ses yeux glissaient d’un bout à l’autre de son corps, constatant les dégâts avec une grimace. Son corps devenait une toile de cicatrices. Même s’il s’était musclé avec le temps, il représentait surtout un temple de douleur et de désastre.

Que pouvait-elle dire ?

Tandis que ses mains commençaient à glisser sur son corps avec précaution, chassant le sang séché qu’elle avait oublié, le bruit de la porte parvint à la faire sursauter. Contrairement à ce qu’elle aurait pu imaginer, Fémence n’était pas venu pour la taquiner, ni même quémander l’accès à son corps, malgré ses blessures. Non :

Une étrangère se tenait à l’entrée.

Une femme à la peau sombre, rappelant le chocolat que Psiek avait pu observer une fois sur le plateau de Fémence, des cheveux d’un magnifique blond parsemés de quelques mèches roses, montées en deux couettes hautes… Le plus perturbant étaient les yeux d’un noir intense qui semblait la sonder. Si Psiek avait été dans une autre position, elle aurait pris plaisir à se renseigner sur la demoiselle.

Les étrangers étaient rares, et malgré les remontrances de ses parents, Psiek avait toujours désiré converser avec eux et en apprendre plus sur leur vie. La jeune femme était persuadée qu’ils avaient d’innombrables choses à lui apprendre, des coutumes, des histoires, une façon de penser différente… Mais ici, il n’était malheureusement pas question de se montrer amicale, ni curieuse. Elle ne devait pas oublier qu’elle était sur un territoire où sa vie se jouait à chaque instant.

De plus, la personne face à elle semblait porter de somptueux vêtements. Une magnifique robe parsemées de dentelles et de froufrous, qui rendraient jalouses les coquettes les plus modernes de la Grande Capitale. Ainsi qu’une broche proche d’une poitrine relativement plate. Une broche dorée et parsemée de petites pierres précieuses.

Même les paons n’avaient pas droit à de pareils attraits, alors que leur but premier était pourtant de régaler les yeux des convives…

Alors que la demoiselle s’apprêtait à demander ce que voulait la nouvelle venue, cette dernière lâcha un petit rire légèrement rauque qui apaisait malgré soi. L’inconnue s’approcha de quelques pas, lorgnant de haut en bas ce qui semblait être sa nouvelle proie. Elle commença ensuite à tourner autour du bain, comme pour mieux capter les différents détails qui s’offraient à elle.

Psiek ne put s’empêcher de se sentir mal à l’aise face à ce regard perçant et calculateur. Elle le reconnaissait sans peine. C’était le même qu’avaient certains invités quand ils la regardaient combattre : Un regard remplis d’envie. Et pas une envie innocente.

Pourtant… C’était une femme, en face d’elle. Non pas qu’elle se sentait écœurée d’un tel regard, mais jamais aucune femme ne l’avait regardée ainsi auparavant. Et elle n’était pas sûre d’en avoir envie. C’était bien trop perturbant par rapport à ses habitudes. Des hommes, pourquoi pas… Mais une femme ?

 

– « On ne m’avait pas menti. Tu es très intéressante ma belle… J’aimerai t’avoir pour une soirée. » lâcha la blonde en chantonnant.

 

Psiek eut un sursaut exagéré et bougea rapidement dans la baignoire pour se retrouver à l’opposé de sa prédatrice, glissant une main sur ses seins pour les camoufler. Le rouge avait gagné ses joues et elle avait si chaud qu’elle se sentait capable de rivaliser avec le soleil.

Néanmoins, contrairement à ce qu’elle aurait pu penser, elle ne ressentait aucun dégoût. Juste une légère inquiétude. Comment était-elle entrée ? Comment avait-elle pu se le permettre ? Et surtout, pourquoi avait-elle ce genre de penchant ? Pour être honnête, elle-même avait reconnu la beauté de certains paons. Mais justement, Psiek n’en était pas un. Elle n’avait pas leur grâce, la peau fine et délicate, semblable à du lait. Si on devait la placer dans le monde animal, elle serait un cheval de trait, là où les autres filles étaient de purs sang arabes.

Déjà que la combattante ne comprenait pas comment des hommes pouvaient désormais être attirés par son corps balafré…

La pauvre jeune femme sentit son cœur tressauter en voyant que son alter ego à la peau d’ébène avait repris son chemin vers elle. Psiek hésita un peu, sachant qu’il ne servirait à rien de passer d’un bout à l’autre de la baignoire. Elle décida donc de la laisser s’approcher totalement d’elle, la regardant se pencher puis attraper son menton avec une certaine délicatesse.

Il n’y avait aucune difficulté à établir la différence entre elle et Fémence.

La châtain rougit en sentant les yeux de l’étrangère la scruter davantage, détournant le regard sur le côté et priant pour que cela soit vite terminé. Mais visiblement, ce n’était pas la volonté de l’autre, bien au contraire. L’inconnue continuait de glisser ses yeux le long du visage de la combattante. Elle observait ses yeux retroussés, son petit nez qui l’était également, ses lèvres qui ne semblaient jamais être capables de former un sourire…

Un de ses doigts glissa sur la joue, caressant une cicatrice qui s’était récemment refermée. Pas de doute. Elle voulait vivre. Quitte à en souffrir. Quitte à perdre son corps. Il s’agissait d’un acte réfléchi et volontaire. Aucune forme de folie, comme on avait pu lui suggérer. Non. La folie n’avait pas sa place dans cet endroit dénué de raison. Les fous ne vivaient jamais assez longtemps pour pouvoir le revendiquer.

Elle était saine d’esprit. Et avait visiblement un plan bien rodé. Il fallait être stupide pour ne pas le voir. Et pourtant, elle s’y tenait fermement. Malgré les regards. Malgré les doutes qui pesaient sur elle. Car elle le sentait forcément.

Oui… Sa volonté de vivre dépassait l’entendement.

 

– « Je lui demanderai de me laisser une soirée avec toi. Il me doit bien ça… » susurra finalement la demoiselle, après avoir caressé le visage de sa proie un petit moment.

 

Psiek fronça les sourcils, hésitant un peu. Il lui devait bien ça ? Sans savoir réellement pourquoi, elle se doutait que la nouvelle venue lui parlait de l’Hôte. Du Maître. Elle ne pouvait parler que de lui. Elle ignorait les liens qui les réunissaient, même si elle avait certains doutes…

Elle secoua finalement la tête, déclarant qu’elle se porterait très bien sans passer de soirée avec elle. Elle ajouta par ailleurs avec ironie qu’elle ne connaissait pas son nom et que ses parents lui avaient toujours ordonné d’éviter les inconnus. Et elle se garda bien de préciser qu’elle ne les écoutait pas, à l’accoutumée. Étrangement, aujourd’hui, elle se sentait prête à écouter leurs recommandations intolérantes…

Malheureusement pour elle, alors qu’elle allait repousser la main de la jeune femme, la porte s’ouvrit sans aucune douceur, annonçant la venue d’un rouquin qu’elle ne connaissait que trop bien. Un soupire s’échappa de ses lèvres. Quand pourrait-elle prendre un bain tranquille, sans subir des dizaines d’inconnus, leurs yeux posés sur sa nudité ?

Probablement jamais.

Fémence afficha un sourire visiblement ravi, se rapprochant des deux demoiselles. Il remercia la nouvelle venue d’être présente et la serra dans ses bras, montrant qu’une proximité existait entre eux depuis un petit moment.

Psiek sentait qu’elle avait bien fait de ne pas envoyer totalement paître l’inconnue.

Le roux se tourna vers elle et sembla froncer les sourcils un instant, avant de reprendre son éternel sourire de façade. Il expliqua à la demoiselle que la jeune femme ici présente se prénommait Prisme, et qu’elle était une proche particulièrement appréciée du jeune Maître. Il attendait donc d’elle un comportement exemplaire et particulièrement avenant. Il n’accepterait aucun refus de sa part, ni aucune contrainte…

 

– « Vois-tu, nous tenons tous énormément à elle. Si tu venais à faire quoique ce soit qui pourrait la contrarier… Et bien, tout ce que tu as su construire à ce jour retomberait en poussière, comme un simple château de sable. Est-ce bien compris ? »

 

Chapitre 19