Des cliquetis incessants, le bruit de l’eau et du sang qui gouttent, un vent glacial qui murmure mille souffrances… Et un silence presque religieux, brisé par la voix d’une jeune femme.

Traînée par deux bourreaux lassés, elle tentait de se débattre, en vain. Ses poignets étaient rouges, endommagés par sa lutte, sa gorge semblait se perdre dans des douleurs muettes et son corps se faisait traîner sans la moindre pitié. Tout son être refusait de croire ce qui était en train de lui arriver.

Et pourtant.

De nombreux regards semblaient glisser sur cette scène banale, avant de se re-concentrer sur le sol, droit devant eux. Aucune pitié ne pouvait s’afficher, aucune surprise. C’était un quotidien. Chaque semaine était la même : Un nouvel objet arrivait pour redécorer le château. Un nouvel objet venait en remplacer un ancien, qui avait fini par perdre son éclat et qui avait été jeté aux ordures. Un nouvel objet arrivait, et une seule pensée traversait les esprits : Et s’il venait à me remplacer ?

L’un des bourreaux lâcha la demoiselle et se rapprocha d’un four. Il le garnit de bois sec et y mit rapidement le feu, attrapant ensuite une longue tige de fer ornée d’un cercle étrange au bout. L’homme nettoya précieusement le cercle, ne voulant pas craindre la fureur du maître si le symbole venait à se graver avec grossièreté.

L’autre bourreau tenta d’attacher la demoiselle, seul, mais se fit mordre avec violence, voyant de la chaire finir entre les lèvres de la pauvre folle. Il laissa sa main s’abattre sur le visage maculé de sang de la victime et profita de son étourdissement pour terminer d’attacher ses bras en l’air, lâchant un juron :

­ « Quelle conne. Je vais lui faire payer ça… Passe moi le fer » hurla presque le blessé, visiblement furieux d’une telle résistance.

Il ne reçut néanmoins qu’un simple rire de la part de son collègue. Ce dernier expliqua qu’il n’avait qu’à être plus prudent quand ils s’occupaient d’un colis, ajoutant que le fer n’était pas assez chaud. Il ne fallait pas se précipiter. Ils étaient payés pour un travail bien fait.

La châtain redressa légèrement la tête en reprenant peu à peu ses esprits, sentant son corps se tendre d’un coup. Elle avait relié les informations entre elles et comprenait ce qui allait lui arriver. Elle n’aurait jamais cru finir ici. Et pourtant, elle serait très bientôt la nouvelle toile de ce maudit symbole.

­ « Je vous en supplie… Laissez-moi retourner chez moi… Mes parents… Ils m’attendent… je… »

­ « La ferme. Tu n’as plus droit de parole désormais. Ouvre la encore une fois et je te jure que je te fous ce foutu signe sur la langue… »

La prisonnière déglutit avec difficulté en croisant le regard de l’homme. Il ne plaisantait pas. Elle ne comprenait pas. Elle secoua un court moment la tête, comme prise d’une folie passagère, refusant de croire à l’impossible. Elle sentait les courtes mèches de son carré ébouriffé lui fouetter le visage. Mais cela ne suffisait pas à la sortir de ce cauchemar.

Ses yeux se perdirent dans la pièce, à la recherche d’un soutien, ou bien d’une idée pour s’en sortir. Elle put observer de nombreuses cages tout autour d’elle. Il y avait des femmes, plus ou moins en piteux état. Certaines étaient même entassées à plusieurs. Mais elle put également observer quelques enfants. Elle sentit une nausée la saisir en apercevant quelques cadavres qui ne demandaient qu’à être ramassé.

Qu’allait-elle devenir ?

Son esprit tentait de s’échapper dans chaque recoin de la pièce, en vain. Elle ne se rendait même plus compte du froid glacial du sol, du vent qui s’engouffrait, des échos qui se formaient. Cet endroit était un véritable cauchemar. Mais elle était belle et bien éveillée. Il n’y aurait rien pour la sortir de là. Elle ne pouvait compter que sur elle-même.

Alors que tout son être se concentrait, le plus colérique des deux hommes lui arracha son haut sous son cri indigné, affichant un sourire de satisfaction devant son air embarrassé et son corps tremblant. Il hésita une seconde à se satisfaire de ce corps probablement vierge, mais il fut retenu par son collègue. Ils n’avaient aucun droit de la toucher. Pas tant que leur maître n’aurait pas décidé de sa place dans cette maison.

Il se contenta alors de lorgner sur sa poitrine avant de saisir le fer chauffé à blanc. Son sourire se transforma en un rictus morbide. Il déclara qu’il allait faire en sorte qu’elle garde une trace bien visible de ce jour et un souvenir bien ancré au plus profond d’elle-même. Quand le maître ne donnait aucun ordre, il était usuel d’imposer le symbole au niveau de la nuque. Mais pas pour cette traînée…

Sans même lui laisser le temps de prier, il appliqua avec violence le métal brûlant sur la peau de sa victime, juste au-dessus de sa poitrine. Sa langue glissa lentement sur ses lèvres en entendant la jeune fille hurler, ses pupilles se dilatant de ce spectacle. Il pouvait même voir les larmes naître et couler avec lenteur sur son visage déformé par la douleur.

Le bourreau retira le fer au bout d’un moment, prenant garde à ce que la marque soit belle. Il était hors de question de la rater. Il balança le fer dans un seau d’eau, un peu plus loin, regardant pensivement la vapeur s’y échapper. Il adorait ce job. Les entendre hurler pourrait presque lui donner un orgasme. Mais lorsqu’il se retourna, ce n’était pas un visage déformé par la douleur qu’il pouvait observer.

La prisonnière affichait un regard noir et déterminé. Il faudrait sûrement l’éduquer et lui apprendre les bonnes manières dans cette maison. Il s’en régalait d’avance.

­ « C’est ça. Plus tu te débattras, et plus je prendrais mon pied, ma chérie. Continue. »

L’homme ricana et saisit la jeune fille par la tignasse, après lui avoir enfoncé son pied au niveau de l’estomac et l’avoir détachée. Il la traîna un moment et l’envoya finalement au fond d’une cellule vide. Elle ne méritait même pas d’être en compagnie d’autres objets. Il ne savait pas s’il devait espérer la voir mourir de froid, ou bien tenir le coup pour affronter les autres épreuves.

Avec un peu de chance, sa plaie s’infecterait et elle agoniserait un moment, comme la dernière…

La jeune femme se traîna difficilement au fond de la cellule, s’adossant contre les barreaux. Son regard glissa un peu partout, à la recherche d’une concentration. Elle voulait oublier la douleur qui la consumait. Elle n’osait pas baisser ses yeux gris vers la plaie. Elle espérait encore se réveiller dans son lit, chez ses parents. Ou bien dans une botte de foin.

Peut-être s’était-elle endormie ? Elle avait travaillé dur toute la matinée, après tout.

Mais la douleur était bien réelle, tout comme le froid, tout comme le silence bruyant, tout comme toutes ces personnes habituées à cette triste existence. Elle ne pourrait compter que sur elle-même. Elle le savait. Elle n’était pas la seule à espérer survivre.